par MFC » Dim Fév 19, 2006 2:12 am
Les clones de rock stars prolifèrent
Connaissez-vous Pink Froyd, Fred Zeppelin, Fleetwood Bac ou 2U ? Ces noms, orthographiés sans coquille, sont ceux de tribute bands ("groupes hommage"), un concept qui commence à s'exporter en France. Soit des formations dévolues à la recréation du répertoire d'une légende du rock - et une seule. A la différence des cover bands, qui mêlent les chansons de différents artistes et officient le plus souvent dans les mariages ou les bals populaires, l e tribute band, lui, est monomaniaque. Son nom doit permettre d'identifier immédiatement l'original, grâce à un jeu de mots calamiteux (Cheap Purple au lieu de Deep Purple) ou à l'emprunt du titre d'un album (Achtung Baby, d'U2), voire d'une chanson (Yesterday, des Beatles).
Il est impossible de recenser ces clones qui prolifèrent par milliers. Si le groupe de hard rock californien Journey possède au moins huit imitateurs dans le monde, combien y a-t-il de faux Beatles ou de faux Stones ? Cette tribu est aussi une vaste auberge espagnole où la ringardise absolue (des sites Internet existent pour se moquer des copies les plus grotesques) côtoie le mimétisme le plus pointilleux.
The Musical Box, groupe canadien consacré à Genesis, appartient à la seconde catégorie. Ces professionnels, en tournée huit mois par an avec leurs cinq semi-remorques, vont recréer à la note et au costume près, à l'Olympia de Paris, les 18 et 19 février, "The Lamb Lies Down on Broadway", ultime tournée du groupe britannique avec le chanteur Peter Gabriel.
Le directeur de la salle, Arnaud Delbarre, y a déjà accueilli Abbamania et les Rabeats (de faux Beatles qui ont rempli l'Olympia quarante ans après le passage de Lennon et McCartney). Passionné par les tribute bands, ce Lillois explique que le phénomène "existe depuis longtemps en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et, bien sûr, en Grande-Bretagne. En France, nous n'avons pas la culture de l'hommage, mais le public est en train de se "délatiniser". Aujourd'hui, les salles se remplissent facilement grâce aux adeptes d'Internet, qui font circuler l'information."
Producteur des Rabeats, Philippe Tassart estime que le succès de ces Amiénois, qui ont bénéficié du soutien de Pascal Obispo en assurant la première partie de sa tournée "Fan" (elle-même un hommage à Michel Polnareff), a fait école en France : "Je reçois chaque semaine un groupe qui se crée autour des Beatles, d'AC/DC, de Pink Floyd ou d'Elvis."
LES BEATLES RECORDMEN
Les grands de la chanson française suscitent en revanche peu de vocations. L'exemple de Jean-Pierre Raffarin, qui a singé Johnny Hallyday dans sa jeunesse, n'a guère été suivi. Une exception, Mégaphone, qui reprend le répertoire de Téléphone, dissous en 1986. Selon le guitariste Christophe Oliveres, "certains apprécient, d'autres ne supportent pas que l'on touche au sacro-saint Téléphone".
Si l'on écarte les impersonators (sosies) d'Elvis Presley réunis en concours à Graceland, les premiers tribute bands apparus dans l'histoire seraient des clones des Beatles. Les garçons de Liverpool, qui arrêtent les tournées en 1966 et se séparent quatre ans plus tard, restent aujourd'hui les recordmen des réincarnations, devant Led Zeppelin, les Doors, Queen ou Kiss (dont l'imitation est facilitée par les maquillages). La nostalgie pour un artiste mort ou un groupe disparu guide les choix, même si l'on trouve dans le circuit de faux Oasis et de fausses Britney Spears : "Beaucoup de musiciens de tribute pensent que la musique actuelle ne soutient pas la comparaison avec celle des compositeurs "classiques" comme McCartney ou Lennon", explique Shane Homan, professeur à l'université de Newcastle (Australie) et auteur du livre à paraître Tribute Bands and Global Pop Culture (Open University Press).
Outre-Manche, l'affaire a pris une ampleur industrielle. Plus de 80 tribute bands sont actuellement programmés dans les salles et clubs du royaume. Des agences comme Henderson ou Alive en proposent, à partir de 800 livres (1 200 euros) la prestation, pour des mariages, fêtes ou congrès. En France, Mégaphone touche jusqu'à 600 euros lorsqu'il joue dans des bars et jusqu'à 2 000 euros lorsqu'il est payé par un office du tourisme (somme dont 8,8 % vont aux ayants droit). Il existe même un festival britannique consacré aux tribute bands, Glastonbudget, dont la deuxième édition est programmée fin mai dans la région de Leicester. En 2005, ce nouveau rendez-vous avait attiré 1 500 spectateurs. "Nous en espérons beaucoup plus cette année, la capacité du site étant fixée à 10 000 personnes", explique Chris Tanner, son organisateur, qui vante "une programmation mêlant le meilleur des dernières décennies de musique".
Le tribute peut donc se révéler lucratif. "C'est une façon amusante de gagner un peu d'argent en jouant des classiques du rock, explique Matt Pearce, de Fleetwood Bac. Et nous avons reçu des messages d'encouragement de Fleetwood Mac. Nous augmentons sûrement leurs ventes de disques lorsqu'ils ne sont pas en tournée !" Bill Warren, de Creeping Death, est plus réaliste : "Nous avons formé un tribute band parce que nous ne gagnions pas d'argent en jouant des compositions originales. Nous avons donc endossé le costume de Metallica." Dans un reportage sur les tribute bands pour le New York Times, l'écrivain Chuck Klosterman explique que "les gens préfèrent payer 10 dollars pour voir quatre types prétendant être Kiss que 5 dollars pour voir les mêmes jouer des chansons inédites".
Quelques tribute bands ont obtenu des succès exceptionnels. Les Australiens de Björn Again (adoubés par Abba), qui ont donné 3 000 concerts dans soixante pays, ont rempli trois soirs le Royal Albert Hall de Londres. Leurs compatriotes de Fabfour (le surnom des Beatles) jouent en Asie et produisent des vidéoclips. Aux Etats-Unis, Super Diamond (une célébration de Neil Diamond) a rassemblé 17 000 spectateurs au Hollywood Bowl et a même été rejoint sur scène par le crooner.
PAS TROP D'HUMOUR
Les tribute bands ne sont d'ailleurs pas toujours constitués d'inconnus. Brouillés avec leur leader John Foggerty, Stu Cook et Doug Clifford, respectivement bassiste et batteur de Creedence Clearwater Revival, ont décidé en 1995 de reprendre les chansons de leur ancien partenaire. Au départ, Creedence Clearwater Revisited ne devait se produire que dans des fêtes privées. Son programme est aujourd'hui de cent concerts par an et son album de reprises est devenu disque d'or.
Généralement, les modèles regardent avec bienveillance leurs émules, tant qu'ils ne ridiculisent ou ne dénaturent pas leur oeuvre. Ce qui n'interdit pas l'humour et la fantaisie : Dread Zeppelin accommode Led Zeppelin à la sauce reggae et Hayseed Dixie interprète AC/DC dans un style country. En 2004, le groupe Beatallica a bien été poursuivi pour avoir joué les Beatles à la façon de Metallica, mais il a gagné son procès.
L'iconoclasme est de toute façon un pari risqué, car le public attend une reproduction fidèle et respectueuse. "J'ai passé des heures à étudier les disques et les vidéos de Bowie pour retrouver chaque note, chaque geste, chaque costume, explique David Brighton. J'ai donc pu travailler avec lui quand on m'a demandé d'incarner ses doubles - comme Ziggy Stardust - dans une publicité pour Vittel."
Certains fans ont même traversé le miroir. Dans le documentaire Tribute (2001), de Richard Fox et Kris Curry, un clone de Gene Simmons, le bassiste de Kiss, également cracheur de feu et de faux sang, doit cesser son activité pour raisons médicales après avoir incendié son domicile. Dans son article, Chuck Klosterman décrit, lui, comment Paradise City, des clones de Guns'n'Roses, ont fini par adopter le mode de vie dépravé - drogues, alcool, orgies, etc. - des sulfureux Californiens.
"Genre le plus calomnié de l'histoire du rock", selon Klosterman, le tribute a reçu, dans les colonnes du Guardian du 25 janvier, le surprenant renfort de Meurig Bowen, directeur du Festival de musique classique d'Aldeburgh : "La musique pop reste jouée, alors que ses créateurs sont inactifs ou morts : elle est devenue quelque chose de différent (...). Le terme "tribute band" est stupide. Le fait que l'Orchestre philharmonique de Berlin joue une symphonie de Beethoven n'en fait pas son tribute band..."
A cela près qu'un chef d'orchestre n'a pas pour ambition d'incarner en chair et en os le compositeur allemand. Chuck Klosterman résume ainsi le drame de certains de ces groupes : "Leur but n'est pas d'être quelqu'un ; c'est d'être quelqu'un d'autre qu'eux." Tim "Ripper" Owens a pleinement atteint cet objectif. En 1996, il chantait dans un tribute band dévoué à Judas Priest, quand les poids lourds du hard rock britannique lui ont demandé de remplacer leur chanteur démissionnaire, Rob Halford. En 2003, Halford revenait au bercail et Owens cédait la place pour se fondre à nouveau dans l'anonymat.
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