http://www.ledevoir.com/culture/musique ... tum-grungePearl Jam au Centre Bell – Le grand conventum grungeMagnifique, épuisé, jouissant de son épuisement, s’épongeant le visage, heureux, deux heures et demie et 27 chansons plus tard, Eddie Vedder se démenait toujours dans le même t-shirt tout trempé, bon à tordre, et hurlait: «I... I’m still aliiiiiive!» Il est comme ça, Eddie, pareil à 46 ans qu’à 26, l’idée pratico-pratique d’en changer durant les mini-pauses avant l’une ou l’autre des deux séries de rappels ne lui serait même pas venue. Ç’aurait été nier sa sueur, ne pas vivre l’expérience complètement. Bien sûr, après vingt ans de Pearl Jam, il ne grimpe plus aux échafaudages, ne se jette plus dans le «mosh pit» (faute de «mosh pit»!), mais il est encore là de tout cœur et de tout son corps, le grand p’tit gars de la bande de Seattle. Jamais dans le simulacre, jamais dans l’auto-parodie. Il y croit: le rock l’a sauvé, le sauve encore.
Ça permettait à ce premier spectacle du Pearl Jam Twenty Tour (après la grande fête anniversaire de la fin de semaine dernière à Alpine Valley) d’avor lieu presque sans l’amertume de la nostalgie. Oui, quelque chose était célébré mercredi soir au Centre Bell — outre la tournée, il y a Pearl Jam Twenty le documentaire de Cameron Crowe, et Pearl Jam Twenty le gros bouquin chic, entre autres décantations —, mais ce qu’on célébrait surtout était la persistance d’une belle idée, à savoir que le rock peut se vivre sans chiqué, nécessaire défoulement certes, mais aussi porteur de causes justes et rassembleur pour les bonnes raisons. Pearl Jam Twenty, c’est vingt ans d’une sorte de rock sans cynisme, sans esbroufe, sans grand guignol, où les gars sur scène ont l’air des gars (et filles!) dans l’assistance. (Note: une jeune femme officiait derrière la console de la sono, je ne me souviens pas d’avoir vu ça dans un gros show de rock.)
La célébration était digne, et fidèle aux engagements de départ: ce n’était pas non plus l’alignement au peloton d’exécution des grands succès, façon Stones, Eagles ou Elton. Il a ainsi fallu une grosse heure de titres pas toujours familiers, ½ Full de l’album Riot Act, The Fixer et Amongst The Waves du récent Backspacer, Severed Hand de l’éponyme disque de 2006, avant que Pearl Jam ne lance Why Go, première de cinq chansons-phares de Ten, l’album qui a tout déclenché en 1991. Et encore, Why Go, Porch, Even Flow, Alive et Black auront été reçues comme de grands cadeaux. Ces milliers de fans, qui, très majoritairement, n’en étaient pas à leur premier show de Pearl Jam — c’était la sixième visite en 18 ans —, savaient leur chance: Pearl Jam ne les jouera pas TOUTES à TOUS les concerts. La preuve, Jeremy, l’essentielle Jeremy n’était pas au programme d’avant-hier. Parce qu’il n’y a pas de programme: les listes sont établies à la toute dernière minute, et asujetties aux humeurs et envies de Vedder, Jeff Ament, Stone Gossard et compagnie. C’est la beauté de l’expérience: on ne sait pas d’avance, eux non plus. On s’attendait seulement à ce que les gars donnent tout ce qu’ils ont, et c’est ce qu’il ont donné: sueur, labeur et bonheur. L’accueil plus que triomphal aura été pleinement justifié: c’était merci pour les vingt ans, merci aussi de ne pas gâcher le présent.
De Mudhoney en première partie, on dira ceci: l’éthique grunge a ses limites. Ne pas être différent dans la vie et sur scène, à ce point-là, tient de la schizophrénie. On aurait dit le local de pratique au Centre Bell sans que les gars s’en aperçoivent parce qu’ils sont en train de jouer: zéro effort de communication. Ça se passait entre eux, pour eux. Et ça faisait le même bruit qu’il y a vingt ans: peut-être ne l’entendent-ils plus. La foule a ovationné Mudhoney quand même: rien n’allait amoindrir l’expérience de cette splendide soirée. On a les conventums qu’on mérite.